Aquarelle © Brigitte Lannaud Levy
Ici, dans cette librairie-café
du quartier des pentes de la croix rousse à Lyon, si vous commandez, un petit
noir on vous le servira bien chaud serré ou allongé, en terrasse ou à
l’intérieur. Mais vous pouvez aussi
vouloir ce petit noir bien sanglant comme il faut, alors Jean Pierre
Barrel vous conseillera un bon polar comme il les aime et dont il a fait sa
spécialité.
Très pragmatique et
réaliste, ce libraire au parlé
« cash » nous confie que l’idée d’un café lui est venue
tout simplement pour payer le loyer de
sa librairie. « De la bible, à
Crimes et châtiments, tous les plus grands chefs d’œuvres sont toujours des romans noirs » nous confie–t-il dans un éclat de rire. Aussi
quand il décide de quitter son métier d’urbaniste et de changer d’orientation
professionnelle en devenant libraire, c’est tout naturellement pour se faire
plaisir jusqu’au bout qu’il plonge dans le polar jusqu’au cou. « Un petit
noir » il y a encore peu de temps était la dernière librairie spécialisée
dans ce genre dans l’hexagone, ce qui l’attristait beaucoup. Aussi se
réjouit-il de l’ouverture récente à
Strasbourg d’un confrère « La
tache noire » autre enseigne du même type.
Rencontre avec un libraire noir c’est noir.
Quel roman noir français nous recommandez-vous ?
« Un pays obscur »
d’Alain Claret (La manufacture des
livres). L’histoire saisit le lecteur littéralement dès le départ. Le
personnage central est un journaliste d’images qui a été pris en otage en
Lybie. Une fois libéré, il revient se réfugier dans la maison de son père
disparu ; À la lisière des forêts, il y vit entre plusieurs fantômes du
passé. Et puis la fille d’Hannah un
ancien amour disparaît , elle lui demande de l’aide. Un roman hypnotique qu’on
lit, relit. On ne cesse de revenir en arrière s’interrogeant de mille façons.
Fascinant.
Et du côté des polars étrangers que nous
conseillez-vous de lire ?
« Meurtres sur la
Madison » de Keith Mc Cafferty (Gallmeister). C’est un polar écologique en pleine nature au
bord d’une rivière à truites dans les Rocheuses menacée par l’assèchement dû à l’agriculture et la pollution
industrielle. Autour d’une enquête sur la découverte d’un cadavre dans la rivière, un
peintre pêcheur-enquêteur et une femme shérif
vont découvrir la face sombre du gros business de la pêche à la mouche.
Y- a-t-il un premier roman noir qui vous a
particulièrement marqué ?
« Par rafales » de
Valentine Imhof (Editions du Rouergue). L’histoire d’une jeune femme en
fuite, harcelée par des hommes. On ne
sait pas si elle tue pour se défendre ou par vengeance,. C’est un roman chorale intense, qui retourne les tripes.
Quel est le roman le plus emblématique de la librairie que vous défendez avec
ferveur ?
« Shibuni » de
Trevanian (Editions Gallmeister).
L’auteur est très mystérieux, il aurait trainé dans l’espionnage, a vécu entre
le pays Basque et l’Angleterre. On a
appris sa disparition, sept ans après sa mort. Son roman est une geste littéraire
contre la mondialisation, une guerre contre le capitalisme. On passe des arts
martiaux, à la grande cuisine tout ça avec un humour incroyable, c’est une
œuvre totale qu’il est impossible de résumer mais qu’il est indispensable de
lire. J’en ai vendu au moins deux cent exemplaires et a chaque
fois j’ai fait un lecteur heureux.
Quel livre pour initier un jeune lecteur au
polar ?
Dans la lecture, entre 12 et
25 ans il y a comme un vide que comblent les mangas, la BD ou le genre
Fantaisie qui deviennent un refuge pour les jeunes face aux œuvres classiques
qu’on leur impose dans les programmes scolaires et qui souvent les rasent au
plus haut point. Aussi je conseillerais
une BD, « La louve » de
Lorenzo Palloni, l’histoire d’une femme
blessée, androgyne qui est
« collecteuse d’argent sale ».
J’aime beaucoup le dessin à la ligne claire et son format carré avec 9
case par page. Dont certaines sont sans dialogues.
Quel roman vous êtes vous promis de lire ?
Je ne me promets jamais rien
là-dessus. En tant que libraire j’en reçois tant. En revanche je peux vous dire
celui que je relirai inlassablement c’est
« Dalva » de Jim Harrison.
Nous sommes en pleine saison des prix littéraires, à
qui auriez vous donné le Goncourt ?
Par principe, je n’aime pas
les prix, les auteurs ne sont pas des chevaux de course. Et ça m’agace qu’on
couronne Pierre Lemaître ou Marcus Malte qui sont de formidable écrivains noirs justement quand ils sortent de
leur genre de prédilection qui est le
polar. Pour moi un auteur comme Alain Claret a toutes les qualités pour être
couronné et pourtant…
Une brève de librairie.
Je profite de cet espace pour
une sorte de coup de gueule. Souvent on
dit que les livres sont chers. Ça me met
hors de moi. Car c’est l’un des rares objets
dévalorisés depuis 30 ans. En 1988 le livre était à 130 F pour un grand format
classique, son prix reste aujourd’hui
autour de vingt euros. Rien n’a bougé, alors
le papier est de plus en plus léger , l’encre disparaît, la colle ne
colle plus, il y a de moins en moins de correcteurs. Si le livre avait suivi
l’inflation, il serait à 50 euros. Le
disque vinyle est trois fois plus cher qu’en 88 et on en vend toujours
plus. A méditer.
Un petit noir
Librairie- café- polar
57 montée dela grande côte
69001 Lyon
09 73 65 41 38
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