samedi 12 décembre 2015

Chic! Une librairie qui ouvre






Quelle bonne nouvelle, une librairie généraliste qui ouvre dans le 5em arrondissement de Paris. Après la fermeture de Dédale, de La Hune et tout récemment cet été de la librairie La Boucherie, nous avions de quoi être inquiets pour la rive gauche.  Derrière cette heureuse création, il y a un homme dynamique et audacieux : Renny Aupetit. Il y a dix ans, il ouvrait avec un succès qui ne s’est pas démenti « Le Comptoir des mots » dans le 20em arrondissement de Paris. Aujourd’hui il offre une « petite sœur » à son enseigne qu’il a baptisée « Le Comptoir des lettres », fratrie oblige. C’est dans les locaux d’une ancienne maison de la presse qu’il a réinventé l’espace pour que les livres aient un écrin aussi design que chaleureux. Grâce au soutien du réseau Librest qui mutualise les stocks entre différentes enseignes parisiennes, vous pouvez  obtenir un livre en moins d’une journée. Et sur le site vous pouvez même trouver des œuvres disponibles en V.O. Ici c’est le règne du papier, mais en hyper connecté. Clémence Cochan nous reçoit derrière son grand comptoir vintage à l’accueil pour nous faire part de ses coups de cœur.

Votre livre culte,  que vous défendez avec ferveur:
J’aurais pu vous citer toute l’œuvre de Victoria Lancelotta ou encore « Venir au monde » de Margaret Mazzantini, mais j’ai fait le choix de vous parler de « La singulière tristesse du gâteau au citron » de Aimée Bender (Édition de l’Olivier). Dans ce roman américain, une petite fille découvre en dégustant un gâteau que lui a préparé sa maman qu’elle a une sorte de super pouvoir : elle ressent les émotions que cette dernière a éprouvées  alors qu’elle préparait ce dessert pour sa fille. Elle n’est pas la seule dans la famille à être doté d’un don aussi singulier. D’autres en sont affublés, notamment son frère. Un livre d’une grande tendresse, bourré d’humour, avec juste la dose de surnaturel qu’il faut.

Une brève de librairie :
Tout simplement, quand les clients reviennent pour nous dire merci d’une lecture qu’on leur a recommandée et qui nous posent en retour cette question magique pour un libraire « Que me conseillez-vous d’autre ? »

Le Comptoir des lettres
52 Boulevard Saint-Marcel
75005 Paris
01 53 61 42 74

Maison Banse diffuseur de savoir depuis 1833





« Depuis 1833 » peut-on lire sur sa très chic devanture couleur marron glacé. Banse est en effet la plus ancienne librairie de Normandie. Et ce n’est pas sans une certaine fierté que Nicolas et Nathalie Fleur nous présentent le certificat original du Brevet de Libraire obtenu par son fondateur François Banse lorsqu’il a été assermenté par le roi Louis-Philippe 1er en tant que diffuseur de savoir. Pas moins. 
Ce couple de Parisiens qui étaient auparavant dans le domaine financier a repris cette librairie en 2008 suite à un appel du large et au désir de se réinventer une vie professionnelle autour de leur passion commune pour la littérature. Leur choix s’est arrêté sur le port de Fécamp, chargé d’histoire. C’est de là qu’autrefois les marins partaient en campagne de pêche à la morue dans les eaux glacées de Terre Neuve. Avoir repris sur la côte d’Albâtre cette belle enseigne fait aujourd’hui le bonheur de la famille Fleur et c’est avec enthousiasme qu’ils partagent avec nous leurs coups de cœur. 

Quel est le livre qui vous tient le plus particulièrement à cœur et que vous défendez inlassablement avec ardeur ?
« Le jour où Nina Simone a cessé de chanter » Darina Al-Joundi et Mohamed Kacimi El Hassani (Actes Sud). À travers l’histoire d’une femme, on découvre celle d’un pays en proie à la guerre civile et qui se veut néanmoins libre. Un texte qui aborde tous les paradoxes entre la haine, la violence et la volonté farouche de toute une jeunesse de vivre à tout prix. Brutale et tendre à la fois, c’est une lecture très intense.

Une brève de librairie :
Bernard Prou notre grande découverte de cette rentrée avec son roman "Alexis Vassilkov ou la vie tumultueuse du fils de Maupassant" est venu faire une « conférence – dédicace » à la librairie. Nous avons eu au même moment la visite-surprise de Katherine Pancol, la romancière de best-sellers qui séjourne régulièrement dans la région. Touché, ému, de cette rencontre inattendue, Bernard Prou qui en s’auto-éditant est totalement en dehors du système, nous a confié : « C’est encore un signe que je vais faire quelque chose avec ce livre ». Comme une marraine bienveillante, en très grande professionnelle, elle lui a donné plein de bons conseils pour cette incroyable aventure éditoriale qu’il est en train de vivre. C’était une bien jolie rencontre. 


Librairie Banse
42 rue Alexandre Legros,
76400 Fécamp
02 35 27 68 72

mercredi 2 décembre 2015

Une librairie-écrin, tout simplement majestueuse





Librairie Le Failler
8-14 Rue Saint-Georges, 35000 Rennes
02 99 87 87 87

Dans le centre de la capitale Bretonne, dans la rue Saint-Georges qui part de la célèbre place du Parlement, on ne peut que remarquer cette somptueuse bâtisse du XVIem siècle à colombages rouges. On pousse la porte et l’on découvre un espace raffiné avec de belles bibliothèques de bois sombre. Dans le grand escalier, sur les murs rouges, on découvre des citations sur la lecture. Ces mots  sont  ceux de Simone de Beauvoir, Michel Houellebecq, Monstesquieu,  James Joyce… Nul doute que l’on est dans une librairie qui a du goût. Un bon goût littéraire. Reprise en 2010 par Dominique Fredj et Valérie Hanich, cette librairie créée en 1925 a gardé le nom du précédent propriétaire : Jacques Le Failler. Ce couple de libraires passionnés  est animé d’une volonté à faire vivre et rayonner leur librairie hors les murs.  Ainsi sans relâche, Le Failler participe aux évènements universitaires, caritatifs ou culturels de la ville, comme au Théâtre national de Rennes avec un corner de livres ouvert lors des spectacles. La librairie organise ou participe à environ 400 évènements par an. Pas moins. C’est Véronique Marchand en charge du pôle littérature qui nous accueille pour nous faire part de ses coups de cœur.

Quel est le roman que vous défendez depuis toujours avec ferveur et qui vous tient particulièrement à cœur ?
« Corps et âme » de Frank Conroy (Folio). L’histoire d’un enfant prodige, délaissé par sa mère, qui découvre des partitions ainsi qu’un petit piano désaccordé. Il va apprendre lui-même la musique et devenir un virtuose jusqu’à jouer à Carnagie Hall. Je ne connais pas de lecteur qui n’ait pas aimé ce roman. On ne se lasse pas de le relire. Cela ferait un très beau film.

Une brève de librairie :
Un jour, un jeune homme m’a demandé un livre de photos de Jésus… d’époque. Je lui ai répondu qu’à part le Saint-Suaire, je n’en connaissais pas.
Plus sérieusement, j’ai le souvenir d’une jeune fille qui voulait acheter une grosse quantité de livres de poche pour qu’une fois empilés, ils fassent une hauteur très précise d’un mètre soixante-deux. Ce n’était pas comme certains qui remplissent des bibliothèques au mètre pour ne jamais lire les livres qu’ils achètent. Ce mètre soixante deux correspondait exactement à la taille de son grand-père qu’elle souhaitait remercier, en lui offrant tous ces poches, de l’avoir aidée à grandir en lui ayant fait aimer la lecture quand elle était enfant. 


Nota Bene : Avant de quitter la librairie, une des citations du grand escalier rouge à méditer :
« Je n’ai jamais eu de chagrin qu’une heure de lecture n’ait dissipé » Montesquieu. 

"La vie devant soi" quel joli nom pour une librairie





La vie devant soi
76 rue du Maréchal Joffre
44000 Nantes
02 49 44 28 55 

Baptisée du titre d’un roman d’Émile Ajar (Romain Gary), cette librairie nantaise vient tout juste d’être créée en octobre dernier.   Pour Charlotte Desmousseaux qui porte ce projet depuis 13 ans, c’est une nouvelle vie qui s’offre à elle. Une vie de libraire, celle dont elle rêvait.  Elle a fait le choix délibéré de s’éloigner du centre-ville et s’est installée dans le quartier Joffre, à la fois populaire et à forte identité culturelle. La librairie se situe entre le Musée des Beaux-arts et le Château des ducs de Bretagne. Soutenue par son mari Étienne Garnier qui est artiste peintre, elle organise des expositions de peintures et de photos. Elle veut faire de la librairie, un lieu de rencontres vivant et chaleureux qui a l’image des commerces de proximité qui l’entourent, tisse un lien social fort. 

Quel est le livre qui vous tient le plus particulièrement à cœur et qui est emblématique de la librairie ?
Le livre que j’aime tout particulièrement mettre entre les mains de mes lecteurs c’est « Fugue » d’Anne Delaflotte Mehdevi (Actes Sud). L’histoire d’une  jeune femme qui passe de son rôle de mère à celui de femme. En recherchant sa fille disparue -  qu’elle finit par  retrouver-  elle perd sa voix à force d’avoir crié son nom. Suite à une thérapie, elle découvre qu’elle a les capacités vocales d'une chanteuse lyrique et qu’elle pourrait avoir un parcours artistique devant elle.


Brève de librairie :
Notre histoire est trop brève pour avoir des anecdotes. Mais j’ai le sentiment en quelques semaines de faire déjà partie du quotidien des gens et qu’ils viennent naturellement acheter un livre comme une baguette de pain.  Et ce lien,  cette réelle proximité, ça fait du bien.

lundi 16 novembre 2015

"Fluctuat Nec Mergitur" 13 Novembre 2015


La devise de Paris comme symbole de résistance après les attaques terroristes du 13 novembre.
"Il (le bateau) est battu par les flots, mais ne sombre pas" 

jeudi 12 novembre 2015

Une Baleine au Wepler




Le 9 novembre dernier, Le jury du très sélect Prix Wepler Fondation La Poste, dont j'ai eu l'honneur de faire partie, a distingué Pierre Senges pour "Achab (séquelles)" publié aux Editions Verticales.





Célèbre pour ses plateaux de fruits de mer, la mythique Brasserie de la place Clichy honore ainsi un auteur majeur de la scène littéraire qui offre une 
« suite fanstasmée » au roman de Herman Melville: Mobydick. C’est un peu comme mettre une baleine au beurre blanc à la carte mais cette considération céto-gastronomique n'est intervenue en rien dans les décisions du jury.  Ce livre plein d’érudition légère, de  poésie et d’humour vous étourdira par son souffle épique et sa capacité à réinventer la forme romanesque à chaque page. Et il y en a 622. 



La mention spéciale du jury a été attribuée à la toute jeune Lise Charles pour "Comme Ulysse" publié aux Editions P.O.L. Ce roman d'initiation autour d'un Lolita des temps modernes raconte "juste l'histoire d'un beau voyage qui a duré trop longtemps" entre la Bretagne et le Vermont. 




La librairie voisine du Wepler




Librairie de Paris
7 place de Clichy
75017 Paris

À ne pas confondre avec « La librairie de Paris » située … à Saint Étienne. Celle dont nous parlons aujourd’hui s’est installée en 1948 à l’emplacement d’une brasserie sur une des places mythiques de Paris : la place Clichy. Depuis 1989 elle appartient au groupe Gallimard qui a engagé de gros travaux de rénovation en 2000. Située à la croisée de quatre arrondissements, les 8e, 9e, 17e et 18e, cette place forme un carrefour assez hétéroclite, très fréquenté de jour comme de nuit. Elle a depuis toujours inspiré les plus grands artistes : peintres, cinéastes, chanteurs, poètes et romanciers.  Sa librairie généraliste de près de 300 mètres carrés est une institution du quartier.  Chaque semaine son équipe de quinze libraires organise des signatures et des rencontres d’auteurs. C’est Alexandre Bord libraire plus particulièrement en charge des 40 mètres carrés de mezzanine consacrés à la BD et aux livres de poche qui nous reçoit.


 Quel est le livre le plus emblématique de la librairie que vous défendez avec ferveur ?
 « La Gana » de Fred Deux (Le temps qu’il fait). Ce roman avait été publié par Maurice Nadeau en 1958. C’est un livre culte qui se passe de main en main. Il m’a été transmis par un de mes collègues à la librairie, Matteo Cavanna. C’est un livre monstre sur la poésie cruelle de l’enfance et sa perception singulière du monde des adultes. Ce livre a refait surface après une forme d’oubli et on est tous fiers de pouvoir lui donner une deuxième vie à la librairie. C’est ça aussi notre métier.



Confiez nous une brève de librairie

Il y a quelques années, Radio Nova a enregistré une émission en direct à la librairie pour parler littérature. Une jeune chanteuse y était invitée à chanter en live. Personne ne la connaissait. Elle a interprété deux chansons, l’une venait du répertoire de William Sheller « Photos souvenirs », l’autre était une de ses compositions intitulée « Nuit 17 à 52 ». Elle était toute timide, voire fragile. Mais quand elle s’est mise à chanter, on a été tous scotchés sur place. On s’est dit qu’il s’était passé quelque chose que l’on n’était pas près d’oublier.  C’était Christine and the Queens.

mardi 27 octobre 2015

"Born to be a livre" Librairie Mots et Cie à Carcassonne



 «Lire tue l’ignorance et les préjugés», « Born to be a livre » ou encore « Le prix du livre est unique, votre librairie aussi ». Voilà de bien percutantes inscriptions que vous pouvez lire sur l’élégante façade en bois foncé de la librairie Mots et Cie à Carcassonne. Elles sont très révélatrices de l’esprit du jeune maître des lieux dont l’engagement pour défendre les livres est total. Nous vous le confirmons, Medhi Bouzoubaa est véritablement un libraire unique, très investi dans la cause du livre. Le concernant on peut parler d’une réelle et profonde vocation de jeunesse qui l’a amené à créer Mots et Cie, il y a dix ans. Sa marque de fabrique ce sont ses choix, très affirmés afin que les lecteurs suivent ses conseils sans jamais être déçus. Il est très attaché à ne pas faillir à sa noble mission. Sa librairie est un peu excentrée mais cela lui convient très bien d’être loin du brouhaha commercial du centre-ville. Selon lui, il faut qu’il y ait une vraie démarche à venir pousser sa porte. En retour vous ne serez pas déçu.

Quel est le livre le plus emblématique de la librairie que vous défendez avec ferveur ?
« Alamut » de Vladimir Bartol (Phébus). Un roman slovène écrit en 1938. Une révélation. L’histoire se déroule en Iran en 1092 autour de l’ascension de deux jeunes au sein d’une secte religieuse basée dans une forteresse construite sur un nid d’aigle. Il nous raconte le processus de radicalisation djihadiste. Une lecture qui est une alerte avant l’heure sur les dangers de l’extrémisme.


Une brève de librairie

Régulièrement quand nous recevons des courriers ou paquets à la librairie, il est inscrit « Maux et cie » au lieu de « Mots et Cie ». Ça nous amuse beaucoup mais ça me convient très bien aussi.  Souvent j’ai l’impression d’être un médecin qui soigne les maux des lecteurs par les mots en délivrant des prescriptions, non pas médicales mais littéraires.


Mots et Cie
35 rue Antoine Armagnac
11000 Carcassonne
04 68 47 21 44

La Librairie "La Boîte à livres" à Tours


La Boîte à Livres
19 rue Nationale 37000 Tours
02 47 05 70 39

Créée après guerre en 46 par Andrée Vanson près de la gare de Tours dans un baraquement de fortune qui ressemble à une boîte, cette librairie trouve alors tout naturellement son nom : « la boîte à livres ». Marceline Langlois Berthelot prend la direction de la librairie en 1985. Elle est épaulée à partir de 1992 par son mari le comédien et metteur en scène Joël Hafkin, chargé plus particulièrement de la communication et des rencontres. Ils vont ensemble faire rayonner leur passion commune pour les mots et offrir un très vaste espace à leur librairie.  Auparavant installée rue des Halles, en 1998, La boîte à livres déménage à son adresse actuelle, 19 rue Nationale avec pour seul crédo : « faire le bonheur des lecteurs ». Dans ses mille mètre carrés répartis sur trois niveaux, l’équipe volontairement très étoffée de trente personnes dont 17 libraires spécialisés, offre une réelle qualité d’écoute et d’échange. Ici le monde du livre est avant tout vivant. Au premier étage, se trouve un ravissant salon de thé–galerie qui s’appelle « L’escale » et qui porte bien son nom. Depuis la disparition de son épouse en 2008, Joël Hafkin a pris seul en main la destinée de la librairie, mais toujours dans l’esprit qui les animait tous les deux. Venu du monde du théâtre, il mesure l’importance de la parole, du lien, des échanges. Ainsi continue-t-il sans relâche à mettre l’accent sur la qualité des rencontres avec les auteurs. Il en organise pas moins de deux à trois par semaines. En l’écoutant, vibrer d’une telle passion et aussi attaché à sa jolie « boîte »,  on ne peut s’empêcher de penser qu’il est un libraire qui ne fera jamais assez de place aux lecteurs et aux livres.


Quel est le livre le plus emblématique de la librairie que vous défendez depuis toujours avec ferveur ?
« Noces » d’Albert Camus qui m’accompagne depuis longtemps. Un recueil autobiographique sur la vie, la mort, l’absence, l’illusion, la nature. Je le lis et le relis inlassablement tant il donne du courage. Ce texte me tient à cœur pour deux autres raisons. Je l’ai tant aimé que je l’ai joué au théâtre, seul en scène.


Une brève de librairie
Il y a deux ans, en pleins travaux du tramway, il y avait des tranchées devant la librairie et on avait moins de monde. J’ai alors proposé que nous organisions une grande fête où les gens viendraient avec quelque chose à déguster et un livre qui leur tient à cœur. Tout le monde a joué le jeu. Ça a créé un très bel échange autour de lectures parfois anciennes et un beau souvenir pour tous.

mardi 13 octobre 2015

Écran noir sur page blanche


« Archives du vent » Pierre Cendors 
Editions Le Tripode

Tout d’abord il y a la beauté de l’objet-livre avec sa couverture de papier mat où Louise Brooks dans une scène de « Pandora’s box » de Pabst vous harponne de son regard d’une intensité que seule une star du cinéma muet peut offrir à une caméra. Vous tournez la première feuille et tombez sur une page toute noire où il est inscrit « Ouverture au noir », terme technique de cinéma pour décrire l’image qui apparaît progressivement de l’obscurité. Ces pages vous les retrouvez, rythmant les différentes parties du livre comme un effet de scansion qui accompagne le fil tendu d’une narration sous tension. Vous ne pouvez rester indifférent, vous êtes même séduit. Le titre de l’ouvrage « Archives du vent » a quelque chose de familier qui n’est pas sans vous rappeler celui du best-seller mondial de Carlos Ruiz Zafón. Mais tout apparemment dans l’objet est si raffiné, si pensé, qu’on décide de s’y plonger avec la curiosité qui précède les découvertes d’une haute exigence littéraire. 

Lisez sans hésiter « Archives du vent », ce livre tient toutes ses promesses. Il est éblouissant tant au niveau du style que de son histoire tout simplement hypnotique.  Pierre Cendors, son auteur est trop injustement méconnu, c’est pourtant son cinquième roman. De lui, on ne sait pas grand-chose. Ses éditeurs cultivent une forme de mystère, à coup de « paraît-il », de « peut-être ». « Un écrivain de langue française né en 1968 » est sobrement mentionné à son sujet sur le rabat du livre. En cherchant un peu, on découvre qu’il est aussi poète, qu’il vit ici et ailleurs : entre Prague, Berlin, la Suisse, l’Irlande, l’Oise ou l’Écosse. À la lecture de son roman aux saveurs de l’ailleurs, on comprend qu’il ne pouvait en être autrement, cet auteur ne peut être qu’un écrivain errant.

Egon Storm, le personnage principal de cette histoire est un réalisateur de génie qui vit retiré du monde en Islande. Avec la complicité d’un vieil et fidèle ami, Karl Oska, propriétaire d’un ciné-club de Munich, il organise à distance par exécution testamentaire, la projection d’une trilogie qui va révolutionner le monde du cinéma. Il décide de programmer ces trois films évènements à cinq ans d’intervalle le jour de l’équinoxe d’automne.  Storm a inventé le Movicône, un procédé d’archivage numérique qui permet de réunir à l’écran des figures immortelles du cinéma sans qu’elles ne se soient jamais rencontrées devant la caméra. Ainsi tel un apprenti sorcier de la pellicule, en récupérant les expressions, les gestes, les intonations d’acteurs de légende, il compose des rôles inédits et recrée les nuances subtiles de leur jeu. De cette façon, il parvient à faire jouer ensemble des géants comme Marlon Brando et Louise Brooks ou encore plus improbable, des personnalités comme Einstein et Hitler.  Mais à chaque sortie de ses films, une mort mystérieuse advient.  Alors qu’Egon Storm évoque, dans un ultime message la sortie d’un quatrième Movicône totalement inattendu, dont le personnage central serait un certain Erland Solness, le fils paumé de ce dernier Erl, part à la rencontre du réalisateur en Islande en quête de son père méconnu.

Pour écrire cette histoire, l’auteur est parti en 2011 en Islande pour se documenter. Et comme il l’explique lui même en s’appuyant sur une citation de  Ramuz  « pour aller à la rencontre des lieux de pouvoirs premiers ». Pas étonnant que le personnage central de son roman s’appelle Egon Storm, nom inspiré d’une tempête violente qui a balayé les côtes scandinaves. Il souffle sur ce livre des forces magnétiques, voire même cosmo-telluriques que l’on retrouve au pays des geysers et des trolls dans la confrontation des éléments entre visible et invisible.  Entre le feu et la glace.


Du premier film Movicône de Storm intitulé « Nébula », Pierre Cendors nous dit que « Si c’était un livre, Kafka et Emily Brontë l’auraient écrit ensemble ». Et bien c’est ce qui résume le mieux « Archives du vent » qui allie le romantisme et l’âme farouche de la poétesse et romancière britannique à l’atmosphère obscure et fascinante de l’auteur pragois. Ce dernier écrivait qu’« un livre doit être la hache qui brise la mer gelée en nous ». Et c’est bien l’effet que nous fait cet éblouissant roman métaphorique de Pierre Cendors qui parvient à nous faire pénétrer dans son monde imaginaire où règnent les puissances créatives de cet « autre réel » qui se joue de la vérité tout autant que de la réalité. Si « Archives du vent » était un film, Ingmar Bergman et David Lynch l’auraient écrit ensemble. Bonne séance.